Compte-rendu de mission du 29 septembre au 24 octobre 2010
(par Anne-Marie Mignet)
Lorsque nous allons à Lokaro en cette période de l’année c’est pour aider à la préparation de la rentrée scolaire… Nous assistons et aidons :
- Au financement des fournitures scolaires
- Au nettoyage et à la désinfection du local et de la cour
- A l’aménagement pour de nouvelles activités : cette année c’était la fabrication d’étagères pour la bibliothèque.
Nous sommes en contact avec certains adultes incontournables :
Les enseignants
Les parents d’élèves
Les autorités locales (chef du village, chef du fokontany)
Un constat que nous faisons presque à chaque voyage : ces adultes nous amènent à vivre des situations qui nous déstabilisent et dont Elisabeth parle dans son CR… Au point de nous faire oublier (parfois) notre objectif principal : notre action après des enfants. Toutes les activités que nous entreprenons avec eux sont sources de Joie… Les visages sont souriants (cf :CR d’Anna).
Cette Joie est ce qui nous permet de relativiser les « actes » que nous déplorons chez les adultes, et ce qui nous dit que cela vaut le coup de continuer…
L’enseignement que nous retirons c’est de ne jamais oublier que nous sommes là pour les enfants.
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Séjour à Fort-Dauphin-Lokaro du 02 au 24 octobre 2010-12-20
(par Elisabeth Le Deun)
Contexte
Ce séjour à été projeté, dès le début de l’année 2010, pour accompagner la rentrée scolaire de l’école de Lokaro en octobre. Il a fait l’objet de négociations difficiles avec mon mari qui devait recevoir, à la même période, son frère, sa sœur et sa belle-sœur et me reprochait de me défiler pour ne pas les accueillir.
Je ne regrette pas d’avoir été ferme et d’avoir imposé ce créneau qui m’a permis de me rendre compte de la réalité de la situation à Lokaro, grâce à l’aide d’Anne-Marie et d’Anna qui y avaient déjà fait des séjours prolongés.
Pour ma part, je n’avais fait qu’entrevoir les aspects matériels et humains du projet, l’architecture du bâtiment, le nombre d’élèves et de maîtres, le rôle financier de l’association. J’étais dans la phase de l’enthousiasme, avec une dose de générosité romantique à l’égard de tous ces déshérités à secourir, et une autre dose de pâmoison bucolique, en raison de la beauté du site et de l’environnement.
Ce que j’ai découvert en y vivant
- Je ne m’attendais pas à une misère aussi poignante où :
- des hommes peuvent vouloir travailler chaque jour bénévolement pour seulement une assiette de riz aux haricots
- des bébés meurent car leurs mères n’ont plus de lait ni les moyens de s’en acheter
- des élèves font leur rentrée en guenilles, avec des « cartables » percés, et les vêtements neufs qui leur sont donnés ne sont jamais longtemps portés mais probablement revendus pour acheter à manger
- d’autres toussent toute la journée faute de soins appropriés
- d’autres ont les pieds et les mains tellement contaminés par les « parasys »* qu’ils pleurent de douleur quand on veut leur enfiler des chaussettes et leur mettre des chaussures pour éviter une plus grande contamination
- des fillettes sont mariées aussitôt que pubères et quittent l’école, donnant aussitôt naissance à des enfants qu’elles ne pourront ni nourrir, ni soigner convenablement
- des hommes et des femmes défilent tous les matins sur la mezzanine de l’école qui nous tient lieu d’infirmerie pour se faire soigner, ou plutôt soulager, de leurs multiples maux tels que : rage de dents, panaris surinfecté au pouce, conjonctivite, douleurs intestinales, plaie ouverte à l’omoplate suite au convoyage de bidons de pétrole, nausées etc…
Il est inutile de les orienter vers un dispensaire le plus proche étant à 3 heures de marche et ne disposant pas de médicaments il leur est impossible de se les procurer faute d’argent.
- Je ne m’attendais pas à une telle bonne volonté et à un tel courage :
- de la part de tous les pères d’élèves qui ont accepté de se réunir, suite à la proposition d’Anne-Marie, et de s’organiser en équipes de travail d’une semaine, retardant, du même coup, la rentrée scolaire de leurs enfants, pour construire la maison des « vasahas ». Ils ont tous respecté leurs engagements.
- De la part des élèves qui viennent des autres villages,Vatoroka et Itapera, marchant de deux à douze kilomètres pour aller à l’école et en revenir.
- De la part des femmes de la famille du chef du village qui nous ont épargné les tâches de cuisine et de lavage de notre linge, en échange d’une modeste rémunération
- De la part de celle qui, souffrant d’une rage de dents, s’est néanmoins mise à l’ouvrage pour nous confectionner des petits paniers dans une case obscure, assise à même sa natte.
- De la part de nos piroguiers et porteurs qui ont toujours été vigilants et disponibles pour nous transporter sans chavirer d’un bord à l’autre, malgré le poids de nos bagages et de nos provisions
*parasys : puce qui vit dans le sable et qui parasite les mammifères et les humains en pondant leurs œufs sous la peau.
Je ne m’attendais pas à des gens aussi difficiles à supporter en raison de :
- leurs détournements de fonds lorsque les projets nécessitent de laisser de l’argent pour l’achat des matériaux..
- leurs petits larcins : disparition des savons mis à côté des bassines d’eau pour le lavage des mains, de pelles pour le travail au potager, de la corde qui tenait la structure de « notre » future maison
- leurs coutumes et leurs superstitions : enterrements qui endettent les vivants. Le sacrifice de zébus qui coûtent cher… pratique rituelle traditionnelle à Madagascar et souvent désastreuse car elle endette ceux qui restent et parfois à vie ! sorcellerie qui sème la peur
- leur fatalisme : les bananiers ne poussent pas à Lokaro. Alors que depuis nos premières plantations en 2007 le village est maintenant pourvu en bananes pratiquement toute l’année et beaucoup de nouveaux bananiers ont poussé depuis !
- leur non-respect du contrat passé avec eux bien que dit, écrit, adopté et signé !
- leurs mensonges
- leur laisser-aller, leur passivité : non entretien du potager démarré en juin et revenu à l’état de friche, non réparation du seau percé du puits, pourtant utilisé chaque jour par tous les villageois, non remplissage des bassines destinées au lavage des mains
- leur saleté corporelle, leur négligence à l’égard de l’hygiène et de la tenue de leurs enfants
- leur manque de « reconnaissance » et de « générosité » : en 14 jours aucun ne nous a donné du poisson ou des crevettes, nous avons toujours tout acheté.
Formation pédagogique
Compte tenu de la semaine vacante accordée aux deux maîtres, j’ai pu leur dispenser quelques heures de formation pédagogique et constaté qu’ils recopiaient scrupuleusement tout ce que je leur écrivais au tableau. Si les effets de cette formation ne retentissent pas, dans l’immédiat, sur les résultats des élèves, j’aurai tout de même eu le plaisir d’apprécier leurs fortes motivations et de répondre à des questions tout à fait pertinentes qui attestent de leur bon niveau de compréhension du français.
En conclusion
Je dirai qu’avant de se rendre à Lokaro autrement qu’en « touriste », il est bon d’avoir une représentation la plus exacte possible de ce qui nous attend là-bas, afin de ne pas être trop dérouté(e).
Ni aventurier, ni docteur Schweitzer, ni Mère Térésa, ni Philippe Mérieu, mais, selon les circonstances, une pincée de chaque avec, en objectif « cible », le projet éducatif (dans tous les sens du terme) à poursuivre, et, en guise de proposition, une nouvelle classe pré-scolaire à Vatoroka !
Elisabeth Le Deun
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Séjour à Fort-Dauphin-Lokaro du 02 au 24 octobre 2010-12-20
(par Anna Tornel)
J’ai passé dix jours à Lokaro au mois d’octobre 2010. Un séjour agréable et difficile en même temps.
Nettoyage, rangement, bricolages en tous genres, activités avec les enfants. J’ai par exemple aidé Anne-Marie à réaliser des étagères pour la bibliothèque de l’école et organisé avec les enfants scolarisés des ateliers de réalisation de bracelets de fil de coton en leur intimant l’idée de les vendre aux touristes ce qui ne semble pas encore les intéresser. La supervision de la construction d’une petite maison traditionnelle par les parents d’élèves a été particulièrement difficile.
Néanmoins, j’ai été très heureuse de trouver beaucoup d’enfants joyeux, curieux, cherchant à communiquer, ce qui n’avait pas été le cas il y a deux ans.
Malheureusement ils souffrent toujours de malnutrition et du manque d’hygiène. Comment ne pas en vouloir aux parents de ne pas faire ce qu’il faut pour les soigner ? D’être si passifs ? La pauvreté extrême établit un fossé immense entre nous.
Malgré cela je reviens avec une envie féroce de continuer à me rendre à Lokaro. Vivre encore des moments intenses, faire vivre la solidarité, comme un souffle qui nous anime et nous nourrit, là-bas et ici.
Expérimenter la nécessité de ne pas attendre de reconnaissance et donc oublier notre ego.
J’ai hâte de partager avec d’autres volontaires toutes ces situations horripilantes ou cocasses selon le point de vue, mais toujours chargées émotionnellement.
Anna.